
Par Jackenson Louis
Il est des royaumes où l’autorité ne se gagne pas par les titres, mais par le silence complice. Haïti, terre de résistance et d’histoire brûlante, semble avoir trouvé son monarque de pacotille : Duckens Nazon. Un roi sans couronne mais avec Snapchat, sceptre numérique à la main, depuis lequel il distribue les gifles verbales comme d’autres distribuent des passes décisives.
Le 23 mars, veille du glorieux match amical contre l’Azerbaïdjan (on en frémit encore), Sa Majesté Duckens 1er publie sur Snapchat une série de vidéos dans lesquelles il se plaint — non pas des défenses adverses, mais de l’organisation de la sélection haïtienne. Mauvais hôtels, bus fatigués, horaires bancals : tout y passe, sauf lui-même. Une leçon de modestie inversée, servie tiède à son fan-club numérique.
Mais là où le commun des joueurs aurait reçu une convocation disciplinaire ou, au moins, une tape sur les doigts, Nazon reçoit… le silence. Pas un mot de Sébastien Migné, pas un froncement de sourcil de David. On ne corrige pas un totem, surtout quand il est sculpté dans l’idolâtrie populaire.
Ce n’est pas une première. Il paraît que Carnejy Antoine et Kevin Lafrance ont déjà goûté à la justice express de Nazon : une claque par ici, une mise au pas par là. Tout ça bien sûr, au nom du leadership… ou peut-être du syndrome de l’enfant-roi.
Lors de la dernière Gold Cup, notre “9” national n’était ni en forme, ni en feu, mais il a quand même joué, protégé par un sélectionneur devenu compagnon de route. Résultat ? Élimination prématurée, chute libre au classement FIFA, et 30 points évaporés comme les rêves de quart de finale.
Pendant ce temps, des noms circulent dans les rues, les bars et les salons : Bellegarde, Casimir, Isidor, Édouard. Des noms qu’on murmure mais qu’on ne convoque pas. Pas trop vite, pas trop fort. Car dans cette cour, le roi n’aime pas qu’on introduise d’autres prétendants.
Jean-Kévin Duverne en a fait les frais. À peine débarqué avec ses trois valises de fringues — crime de lèse-majesté vestimentaire ? — les ragots l’attendaient au pied de l’avion. Un comité d’accueil en version venimeuse. Entrer chez les Grenadiers, c’est franchir une douane psychologique où les anciens cadres jouent les douaniers de l’ego.
Alors oui, il faut le dire : la sélection nationale haïtienne n’est pas une équipe, c’est une cour. Et dans cette cour, il n’y a qu’un seul trône, occupé par un joueur qui confond leadership et hégémonie.
Duckens Nazon n’est peut-être pas le meilleur joueur d’Haïti, mais il est certainement le plus protégé. Une monarchie bien huilée, où la critique est un crime et où le règne continue, entre deux stories Snapchat.



