
Le football haïtien compte de nombreuses pages sombres, mais peu illustrent mieux la désorganisation chronique et les injustices institutionnelles qui gangrènent le sport-roi dans le pays que les histoires du Victory SC et du Valencia FC de Léogâne. Deux clubs historiques, deux symboles d’une passion populaire brisée par l’incompétence de la Fédération haïtienne de football (FHF) et le manque de cohérence des instances chargées de gérer le championnat national.
Victory SC : un club sacrifié sur l’autel des décisions arbitraires
Le Victory SC, club orange de Bas-Peu-de-Chose, n’a plus disputé la première division depuis 2013. Cette année-là, après une saison difficile conclue à la dernière place de la phase régulière, le club avait terminé quatrième du groupe de barragistes pour le maintien.
Logiquement, il aurait dû évoluer en première division la saison suivante. Mais c’est une décision fédérale controversée qui a définitivement bouleversé la donne.
En 2014, la FHF décide d’élargir la D1 de 12 à 16 équipes, en réintégrant les relégués de la saison précédente — AS Cavaly et América des Cayes — et en promouvant deux clubs n’ayant pas gagné leur montée sur le terrain : Violette AC et Racing FC de Gonaïves.
Ce choix unilatéral provoque une onde de choc : cinq clubs, dont le Victory SC, refusent de participer au championnat en guise de protestation contre ce qu’ils considèrent comme une injustice flagrante.
Le 27 mars 2014, la fédération frappe fort : les cinq “clubs rebelles” sont exclus du championnat, qui se termine dans un format dégradé à onze équipes seulement.
Une décision lourde de conséquences. Le Victory SC, institution respectée du football haïtien, disparaît peu à peu des radars du football professionnel. En une seule décision, un pan du patrimoine sportif national s’éteint, victime d’un pouvoir fédéral autoritaire et dépourvu de vision.
Valencia FC : l’injustice transformée en résistance
Autre histoire, même tragédie : celle du Valencia FC de Léogâne, champion d’Haïti en 2012 et fier représentant du football provincial.
En 2018, un différend sportif avec le Racing FC des Gonaïves déclenche une crise majeure. Le match comptant pour la 29e journée du championnat de D1 ne se joue jamais : le Valencia refuse de se déplacer au stade Sylvio Cator pour affronter son adversaire, réclamant que la rencontre se tienne dans son propre fief, à Léogâne.
La COCHAFOP (Commission d’Organisation du Championnat Haïtien de Football Professionnel) tranche sèchement : match perdu sur tapis vert pour Valencia, et relégation en deuxième division.
Mais le club de la Cité Anacaona refuse le verdict, considérant la décision injuste et politiquement motivée. Il saisit la commission de discipline, puis la commission d’appel, sans jamais obtenir gain de cause.
En 2020, le secrétaire général adjoint du club, Diery Marcelin, résume la position du Valencia dans une déclaration restée célèbre, affirmant que tant que ce bureau fédéral dirigerait le football haïtien, le Valencia ne participerait à aucune de ses compétitions et que le club attendrait le temps qu’il faudrait pour rejouer.
Depuis, le Valencia est inactif, préférant l’honneur du silence à la compromission avec un système fédéral jugé corrompu et partial.
Deux trajectoires, un même coupable : la FHF
Que ce soit le Victory SC, effacé pour avoir contesté une décision inéquitable, ou le Valencia FC, marginalisé pour avoir refusé de se plier à un diktat administratif, le dénominateur commun reste le même : une gestion fédérale opaque, punitive et déconnectée du principe d’équité sportive.
Ces deux clubs, jadis respectés, sont aujourd’hui réduits au silence par une fédération incapable d’encadrer un championnat sur des bases solides, transparentes et professionnelles.
Derrière ces noms, c’est toute une génération de jeunes footballeurs, d’entraîneurs, de supporters et de villes entières qui ont perdu leur raison de vibrer pour le football.
Le prix du désordre
Les cas du Victory SC et du Valencia FC ne sont pas des accidents isolés : ils témoignent d’un système malade. Un football où les décisions administratives remplacent les résultats sportifs, où la loyauté se paie de sanctions, et où la passion populaire s’effrite sous le poids de la bureaucratie.
Le football haïtien n’a pas seulement perdu deux clubs : il a perdu deux symboles.
Et tant que les institutions resteront guidées par l’improvisation, la vengeance et l’intérêt personnel plutôt que par la justice sportive, d’autres clubs connaîtront le même sort.
Un avertissement pour l’avenir
Le retour du Victory SC et du Valencia FC ne dépend pas de la chance, mais d’une refondation totale du football haïtien. Tant que les mêmes erreurs se répètent, le sport le plus aimé du pays restera prisonnier de ceux qui prétendent le diriger. Parce qu’en Haïti, le vrai drame du football n’est pas sur le terrain : il se joue dans les bureaux.



