Par : Mythsouka Jean-Philippe
Dans l’histoire du football haïtien, certaines rencontres amicales ont marqué les esprits, non seulement par leur intensité, mais aussi par leur portée symbolique. Parmi elles, une double confrontation disputée en 1973 contre le prestigieux Racing Club de Buenos Aires, alors champion du monde des clubs 1967, reste gravée dans les annales du sport national. Cette opposition, préparatoire au tournoi qualificatif de la Coupe du monde 1974 dans la zone CONCACAF, permit aux Grenadiers de mesurer leur niveau face à un adversaire de renom et de signer l’un de leurs succès les plus éclatants.
Un adversaire de prestige
À une semaine du début du tournoi qualificatif, la sélection nationale haïtienne s’apprêtait à affronter le Racing Club de Buenos Aires, vainqueur de la Coupe Intercontinentale en 1967. Cette prestigieuse formation argentine, premier club de son pays à soulever ce trophée convoité, comptait dans ses rangs des joueurs d’envergure, dont le défenseur Alfio « Coco » Basile, futur entraîneur de renom. Ce test grandeur nature devait permettre aux Grenadiers de peaufiner leur préparation et d’affronter une opposition au niveau technique et physique particulièrement élevé.
Une première rencontre difficile
La première confrontation eut lieu sous une atmosphère électrique. Face à un adversaire rompu aux joutes internationales, les Haïtiens firent preuve d’un engagement remarquable mais peinèrent à contenir la domination argentine. Malgré leur vaillance, ils concédèrent une courte défaite (0-1), la formation sud-américaine s’imposant grâce à une maîtrise tactique indéniable. Ce revers, bien que frustrant, servit de leçon aux Grenadiers qui, loin de se décourager, allaient tirer parti de cette expérience pour aborder la seconde rencontre avec un esprit revanchard.
Une victoire retentissante
Quelques jours plus tard, le second match opposa de nouveau les deux équipes dans un contexte où la pression était à son comble. Cette fois, galvanisés par leur public et par le désir de prendre leur revanche, les Grenadiers livrèrent une prestation magistrale. Dès le début de la rencontre, l’attaquant emblématique Emmanuel « Manno » Sanon, véritable fer de lance du football haïtien, ouvrit le score, plaçant son équipe en position favorable.
Le Racing Club tenta alors de réagir, mais la défense haïtienne, solidement organisée, fit preuve d’une résilience admirable. À la 86e minute, une action de grande classe scella le sort du match : Philippe Vorbe, maître à jouer du milieu de terrain, combina intelligemment avec Jean-Claude Désir, dit « Tom Pouce ». Ce dernier attira sur lui plusieurs défenseurs argentins, créant une brèche exploitée par Sanon. Dans un geste d’une finesse remarquable, l’attaquant glissa une passe en profondeur vers Claude Barthélémy, surnommé « Coca ». Parti depuis sa propre moitié de terrain, ce dernier déploya toute sa vitesse et sa maîtrise technique pour tromper le portier adverse et inscrire le but du break.
Ce succès 2-0 contre une formation argentine aussi prestigieuse marqua les esprits et fut salué comme l’une des plus belles victoires de l’histoire du football haïtien.
Une victoire au prix de sacrifices
Si cette performance permit aux Grenadiers d’engranger une confiance précieuse avant le tournoi qualificatif, elle ne fut pas sans conséquences. En raison de l’intensité des confrontations, plusieurs joueurs furent contraints de quitter le terrain sur blessure. Philippe Vorbe, victime d’une pubalgie, dut renoncer aux terrains pour une période indéterminée. De même, les défenseurs Pierre Bayonne et Mario Léandre subirent des blessures qui affectèrent leur préparation. Ces sacrifices témoignaient de l’engagement total des joueurs haïtiens dans cette double confrontation.
Un tournant pour le Football Haïtien
Cette victoire contre le Racing Club de Buenos Aires ne fut pas seulement un exploit ponctuel. Elle symbolisa l’ascension du football haïtien sur la scène internationale et renforça la détermination des Grenadiers à se qualifier pour la Coupe du monde 1974. Quelques semaines plus tard, cette ambition devint réalité : Haïti valida son ticket pour le Mondial en Allemagne de l’Ouest, devenant ainsi la première nation caribéenne à atteindre ce stade depuis Cuba en 1938.
Près d’un demi-siècle plus tard, ce triomphe face aux champions du monde des clubs demeure une source de fierté et un témoignage du talent exceptionnel de cette génération dorée du football haïtien. Une génération dont les exploits continuent d’inspirer les passionnés du ballon rond à travers l’île et bien au-delà.
