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Numéro 24 : Haïti – Santos FC , un roi en visite et un dictateur au départ

Par Mythsouka Jean-Philippe

Le 17 février 1971 reste à jamais une date mythique dans l’histoire de la sélection haïtienne. Ce jour-là, Port-au-Prince accueillait l’une des équipes les plus prestigieuses du monde, le Santos FC du Brésil, en tournée en Amérique latine. Ce qui rendait cet événement exceptionnel, au-delà de la simple rencontre sportive, c’était la présence du légendaire Pelé, alors triple champion du monde, véritable roi du football mondial.

Quelques jours plus tôt, Santos avait entamé une série de matchs amicaux sur le continent. Le 11 février, le club s’était incliné face au Deportivo Cali en Colombie, sur le score de deux buts à un, au stade Pascual Guerrero. Puis, le 14 février, Santos avait battu l’équipe salvadorienne d’Alianza, deux buts à un également, au stade Flor Blanca.

C’est dans cette dynamique que Santos est arrivé en Haïti le mardi 16 février 1971. Dès leur descente d’avion à l’aéroport François Duvalier, les Brésiliens ont reçu un accueil spectaculaire. Un cortège les a accompagnés jusqu’à la mairie de Port-au-Prince, sous les acclamations d’une foule impressionnante. La population haïtienne, toute classe sociale confondue, était venue célébrer la présence de Pelé. À la mairie, des autorités locales ont organisé une cérémonie digne d’un chef d’État. Le génie brésilien a été célébré à la hauteur de son statut, avec faste et solennité.

Le lendemain, mercredi 17 février, toute la capitale vibrait au rythme du football. Le gouvernement haïtien avait même décrété un congé scolaire exceptionnel. Les institutions publiques ne fonctionnaient qu’à mi-journée, preuve de l’importance accordée à cette rencontre. Depuis les premières heures du matin, le stade Sylvio Cator était déjà plein. Le soleil battait son plein, mais l’enthousiasme populaire éclipsait la chaleur accablante.

Avant même le début du match, une cérémonie officielle fut organisée sur la pelouse. Le président François Duvalier, accompagné de sa famille et de plusieurs membres de son gouvernement, était présent en tribunes. Il remit personnellement à Pelé la plus haute distinction honorifique du pays : l’Ordre National Honneur et Mérite, au Grade de Grand-Croix. Ce fut un moment hautement symbolique, car ce jour-là marqua la dernière apparition publique du président Duvalier, surnommé Papa Doc, décédé deux mois plus tard.

Sur le terrain, l’équipe haïtienne, dirigée par l’entraîneur Antoine Tassy, alignait plusieurs de ses meilleurs éléments. Henri Francillon gardait les cages et portait le brassard de capitaine. La défense était composée d’Ernst Jean-Joseph dit Grimaud, Wilner Nazaire, Serge Ducoste et Formose Gilles. Au milieu de terrain évoluaient Pierre Bayonne, Jean-Claude Désir dit Tom Pouce, et Philippe Vorbe. L’attaque réunissait Claude Barthélemy, surnommé Coca, Emmanuel Sanon, et Guy François.

Face à eux, le Santos FC, dirigé par Antoninho, présentait une équipe solide malgré l’absence de quelques grandes figures telles que Djalma, Clodoaldo Tavares, Dias ou Carlos Alberto. Le gardien argentin Agustin Cejas formait l’arrière-garde avec Orlando Lelé Pereira, Oberdan, José Ramos Delgado et le capitaine Rildo da Costa. Le milieu comprenait Léo Bastos et Antonio Lima, tandis que l’attaque était menée par Edú, Picolé, Pelé et Abel.

Le match débuta sous les yeux d’un public frémissant. Santos prit rapidement le contrôle du jeu. Dès la 17e minute, Antonio Lima ouvrit le score pour les Brésiliens. Haïti tenta de réagir par quelques offensives bien menées, notamment par Philippe Vorbe et Emmanuel Sanon, mais la défense adverse tint bon. En seconde période, à la 74e minute, Pelé fut remplacé, salué par une immense ovation du public. Une minute plus tard, Picolé inscrivit le deuxième but du match.

À peine le deuxième but inscrit, une pluie torrentielle s’abattit soudainement sur Port-au-Prince. Le terrain du stade Sylvio Cator, détrempé en quelques minutes, devint impraticable. Les officiels, dirigés par l’arbitre central Paul Joseph et ses assistants Albert Pierre-Louis et Fritz Saint-Elus, décidèrent alors d’interrompre prématurément la rencontre, bien avant les quatre-vingt-dix minutes réglementaires.

Le score final, deux à zéro en faveur du Santos FC, importait peu. Ce qui comptait vraiment ce jour-là, c’était l’événement en lui-même. Ce fut une grande fête du football, un moment de fierté nationale, une communion inédite entre Haïti et le Brésil. Pour beaucoup d’Haïtiens, ce match fut bien plus qu’un simple affrontement sportif : ce fut une rencontre avec l’histoire, avec un roi du sport, avec un rêve devenu réalité.

Pelé, cette icône mondiale, avait offert à Haïti un moment de magie, dans une période complexe de son histoire politique. Et ce 17 février 1971, sous le soleil de Port-au-Prince et sous la pluie tropicale qui mit fin au match, la mémoire collective haïtienne accueillit à jamais l’une de ses plus belles pages sportives.

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