100 ans de l'équipe nationale

Numéro 1 : Le premier match de l’équipe nationale

Par Mythsouka Jean-Philippe

  1. Le 22 mars 1925, l’histoire du football haïtien connut un tournant décisif avec la première rencontre internationale de l’équipe nationale contre la sélection jamaïcaine. Cette confrontation historique se déroula au Parc Cincinnatus Leconte, à Port-au-Prince, un lieu symbolique qui, bien qu’inauguré en 1913, portait le nom du président haïtien Cincinnatus Leconte. Ce dernier, en 1911, fit don de l’emplacement du parc par l’intermédiaire de son ministre de l’Intérieur, Antoine Sansaricq. Ce geste marquait son désir de promouvoir le développement sportif et culturel dans le pays. Aujourd’hui, ce même emplacement est occupé par le Stade Sylvio Cator, un autre lieu emblématique pour le football haïtien.

Le 22 mars, le Parc Cincinnatus Leconte se transforma en un lieu de grande effervescence, accueilli par environ 4500 spectateurs, non seulement dans les gradins mais aussi sur les arbres et les maisons avoisinantes, témoignant de l’enthousiasme populaire qui régnait à l’occasion de ce match historique. Le terrain, encerclé par des montagnes de passion et de fierté, vit s’affronter les deux sélections nationales dans une ambiance solennelle et festive. La Jamaïque, qui à cette époque était encore une colonie britannique, était considérée comme la favorite de la rencontre, en raison de son statut et de la tradition anglaise en matière de football, les Britanniques étant les créateurs et les grands promoteurs de ce sport au niveau mondial. En face, Haïti, bien que jeune dans l’univers du football international, nourrissait l’espoir de rivaliser avec une équipe aux lourdes influences européennes.

Le match fut observé par un public prestigieux. Parmi les spectateurs se trouvait le président d’Haïti, Louis Borno, accompagné de sa Première Dame, Marie Hélène Saint-Macary. Ils furent rejoints par des personnalités influentes de l’époque, telles que le général John H. Russell Junior, haut-commissaire américain en Haïti, ainsi que de nombreuses autorités ministérielles britanniques et haïtiennes. Les grands commerçants de l’époque étaient également présents, soulignant l’importance sociale et politique de cet événement sportif. Ce n’était pas simplement un match de football, mais un moment clé de l’histoire du pays, un moment où Haïti se mesurait à une autre nation sur la scène internationale.

L’équipe haïtienne était dirigée par un entraîneur britannique, Briggs, qui avait été engagé pour guider la sélection à travers ses premiers pas sur la scène internationale. Le premier onze de départ de l’équipe haïtienne, composé de joueurs issus du Club Athlétique des Sports Généraux, incluait des figures majeures du football national. Le gardien Lavonis, solide et fiable, se tenait entre les perches. Lucien Regnier, capitaine de l’équipe et défenseur aguerri, symbolisait la rigueur et la discipline tactique haïtienne. À ses côtés, on retrouvait Sylvio Cator, l’un des plus grands talents du football haïtien, qui marquerait plus tard l’histoire du sport national par ses exploits à l’international. Albert Painson, Franck Cardozo, Volcy Bernadotte, Jean-Elie, Albéric Cassagnol, Mews, E. Villard et G. Archer complétaient cette équipe qui, bien qu’en pleine construction, n’hésitait pas à se mesurer aux plus grandes sélections.

Le onze de la Jamaïque, quant à lui, était composé de joueurs talentueux et expérimentés tels que L. Robert, le capitaine, Harry Paxton, Lambert Lewis, B. Lopez, C. Fuertad, Clarence Parsaillaigue, K. Willie Parsaillaigue, V. Sinclair, L. Moody, D. Barham et S. Soulette. Cette équipe jamaïcaine, fort de l’héritage britannique dans le domaine du football, était perçue comme l’une des meilleures équipes du moment, et les attentes étaient grandes de la part des observateurs.

À l’arrivée des deux équipes, le stade éclata de joie et d’acclamations. La Jamaïque, vêtue de ses couleurs vertes et noires, fut accueillie par des ovations enthousiastes de la part du public. Toutefois, ce fut l’équipe haïtienne qui eut droit à un véritable standing ovation, marquant l’exubérance et la fierté des supporters haïtiens. Ce soutien massif de la part des spectateurs traduisait l’énorme fierté nationale qu’inspirait la première apparition de la sélection sur le plan international. Les deux équipes s’échauffèrent dans un silence presque solennel, une préfiguration du respect mutuel qui allait exister pendant toute la durée de la rencontre. Avant le coup d’envoi, les hymnes nationaux résonnèrent dans l’air : « God Save the King » pour la Jamaïque et « La Dessalinienne » pour Haïti. L’arbitre, M. Williams, sous-directeur de la Banque centrale d’Haïti, donna alors le coup d’envoi de ce match historique.

Dès le début de la rencontre, la domination de la Jamaïque se fit ressentir. L’équipe jamaïcaine, fluide et précise dans ses passes, contrôlait la possession du ballon, dictant le rythme du jeu. L’équipe haïtienne, bien que combative, avait des difficultés à contenir les assauts adverses et à se projeter de manière cohérente vers l’attaque. À la 40e minute, la Jamaïque ouvrit le score grâce à un but de Clarence Parsaillaigue, qui réceptionna une passe décisive de Lambert Lewis, illustrant la précision et la qualité de la combinaison offensive jamaïcaine. Les Haïtiens, bien que bien organisés en défense, peinaient à créer des occasions dangereuses et à concrétiser leurs rares incursions dans la moitié de terrain jamaïcaine.

Le score de 1-0 en faveur de la Jamaïque à la fin de la première mi-temps reflétait la domination de la sélection britannique, qui contrôlait les phases de jeu et dictait le tempo. En seconde période, les Jamaïcains continuèrent à imposer leur rythme, et à la 60e minute, Harry Paxton inscrivit un deuxième but pour la Jamaïque. Sur un corner parfaitement exécuté, Paxton s’éleva pour marquer de la tête, consolidant ainsi l’avantage jamaïcain à 2-0. L’équipe haïtienne, bien que n’abdiquant pas, ne parvenait pas à briser la défense jamaïcaine ni à mettre en danger le portier adverse.

Cependant, à la 86e minute, un éclat de génie haïtien apporta un peu de lumière à cette rencontre difficile pour les hommes du coach Briggs. Jean-Elie, sur l’aile droite, envoya un centre dans la surface jamaïcaine. Un cafouillage s’ensuivit, et Albert Painson, bien placé, en profita pour marquer un but salvateur pour Haïti, réduisant l’écart à 2-1. Ce but, bien qu’inutile pour renverser la rencontre, fut accueilli par une explosion de joie dans les gradins haïtiens, un hommage à la persévérance et à la combativité de l’équipe, même dans l’adversité.

Le score final, 2-1 en faveur de la Jamaïque, était une juste récompense pour l’équipe jamaïcaine, qui avait dominé le match de la tête et des épaules. Les Haïtiens, quant à eux, étaient déçus de leur performance, jugée insuffisante par leurs supporters, qui avaient espéré davantage de spectacle. Le manque de cohésion et de fluidité dans le jeu haïtien laissait une impression mitigée. Beaucoup de fans considéraient la performance des joueurs comme peu convaincante, à tel point qu’ils qualifièrent parfois leur jeu de « comique », tant l’équipe semblait impuissante face à la qualité du jeu jamaïcain.

Néanmoins, cette première rencontre fut suivie de deux autres matches, bien que la série initiale prévoyait cinq matchs. Le 26 mars 1925, toujours au Parc Leconte, la Jamaïque écrasa Haïti sur un score de 3-0, confirmant ainsi sa supériorité incontestée sur le terrain. Le 29 mars 1925, un troisième match se déroula, et cette fois-ci, Haïti réussit à accrocher une victoire historique de 1-0 face à la Jamaïque, offrant une ultime surprise aux fans haïtiens et marquant le début d’une série de compétitions internationales pour le football haïtien.

Ces trois rencontres, bien qu’elles aient vu la Jamaïque dominer largement, constituèrent un jalon important dans l’histoire du football haïtien, témoignant de la détermination du pays à se faire une place sur la scène internationale. Elles laissèrent une empreinte indélébile dans la mémoire collective, et même si Haïti ne sortit pas vainqueur de la série, ces matches marquèrent les premiers pas d’une longue histoire de compétitions internationales pour le football haïtien.

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