
La Coupe du monde 2026 s’annonce comme un tournant pour le football mondial et, peut-être, pour le destin d’Haïti. Organisée pour la première fois dans trois pays ( les États-Unis, le Mexique et le Canada ) , elle sera la quatrième édition de l’histoire à se tenir en Amérique du Nord, après celles de 1970, 1986 et 1994. Depuis la création du tournoi en 1930, sur les vingt-deux éditions déjà disputées, ces trois-là ont toutes offert un avantage symbolique et concret à la zone : le pays hôte, qualifié d’office, libère une place dans les éliminatoires et rend le parcours des autres nations un peu moins ardu. Mais dans l’histoire, Haïti n’a jamais su profiter de cette fenêtre ouverte.
1970 – Le rêve inachevé d’une génération dorée
Lorsque la Coupe du monde s’installe au Mexique en 1970, Haïti revient dans la compétition après près de douze ans d’absence des éliminatoires. L’équipe, façonnée par Antoine Tassy, dit Zoupim, est alors l’une des plus talentueuses de l’histoire du football haïtien. Dans le vestiaire, on retrouve des figures marquantes : Claudel Legros, capitaine et joueur d’Angoulême en première division française, Guy Saint-Vil, star du Racing Club Haïtien, Philippe Vorbe, meneur de jeu élégant, Jean-Claude “Tom Pouce” Désir, Claude “Coca” Barthélemy, Joseph “Zocil” Obas, Guy François, André “Pelaw” Auguste, Hugues Guillaume dit Jacquot, Formose Gilles, Edner Breton, ainsi que Henri Francillon et Raphaël Manoyrine qui se partagent les cages.
Sous la houlette de Tassy, les Grenadiers débutent leur campagne à domicile, dans un Stade Sylvio Cator bouillant. Le 23 novembre 1968, Haïti balaie Trinidad et Tobago quatre buts à zéro, grâce à un doublé de Guy Saint-Vil, un but de Zocil Obas et un autre de Guy François. Deux jours plus tard, les Trinidadiens prennent leur revanche en s’imposant 4-2 malgré des réalisations de Jacquot Guillaume et Philippe Vorbe, mais Haïti se qualifie tout de même pour la phase suivante.
En décembre, les Grenadiers affrontent le Guatemala et s’imposent à Port-au-Prince deux buts à zéro, signés Jean-Claude “Tom Pouce” Désir et Claude “Coca” Barthélemy. Le match retour à Ciudad Guatemala se solde par un nul 1-1, avec un nouveau but de Zocil Obas. Forts de cette performance, les Haïtiens se présentent gonflés de confiance pour affronter les États-Unis, qu’ils dominent d’abord à Port-au-Prince (2-0, grâce à Zocil et Saint-Vil), puis à San Diego (1-0, but de Saint-Vil).
Tout semble alors écrit pour une qualification historique. Mais le destin, une fois encore, en décide autrement. En septembre 1969, Haïti affronte le Salvador pour le dernier tour. À Port-au-Prince, Zocil ouvre le score, mais les visiteurs l’emportent finalement 2-1. Une semaine plus tard, les Grenadiers se reprennent magnifiquement à San Salvador, triomphant 3-0 avec des buts de Tom Pouce, Guy François et Coca Barthélemy. Les deux équipes étant à égalité de victoires, un match d’appui est organisé à Kingston, en Jamaïque. Ce 8 octobre 1969, Haïti domine sans concrétiser, avant de s’incliner en prolongation sur un but de la tête concédé sur corner. Ce but met fin au rêve. Le Salvador décroche le billet pour le Mexique, et Haïti, elle, reste aux portes de la gloire.
Pour beaucoup, ce fut la meilleure équipe haïtienne à ne pas avoir joué une Coupe du monde. Une génération d’exception, sacrifiée sur l’autel du destin.
1986 – Le retour de Coca, la chute du mythe
Seize ans plus tard, l’histoire semble vouloir se répéter. Le Mondial 1986 a lieu à nouveau au Mexique. Cette fois, c’est Claude “Coca” Barthélemy, héros malheureux de la campagne de 1970, qui prend les rênes de la sélection. Le rêve d’un retour sur la scène mondiale renaît, mais la réalité est cruelle.
Les débuts sont pourtant prometteurs : Haïti écrase Antigua et Barbuda 4-0 à Port-au-Prince, grâce à un triplé de Maxime Auguste et un but de Kenel Thomas. Trois jours plus tard, les Grenadiers s’inclinent 2-1
malgré une réalisation d’Édouard “Pepe” Vorbe, mais le score cumulé les qualifie pour la phase suivante.
Le second tour, en revanche, tourne à la débâcle. Placée dans un groupe avec le Guatemala et le Canada, Haïti s’effondre : défaite 2-0 à Vancouver le 13 avril 1985, revers 1-0 au Stade Sylvio Cator contre le Guatemala le 26 avril, puis nouvelle défaite 2-0 face au Canada à domicile le 8 mai, avant de sombrer 4-0 à Ciudad Guatemala le 15 mai. Quatre défaites en quatre matchs, aucun but inscrit, neuf encaissés.
Cette élimination brutale marque un point bas du football haïtien. Ironie de l’histoire : c’est le Canada, pays de football naissant, qui profitera de cette campagne pour se qualifier pour la première fois de son histoire à une Coupe du monde.
1994 – L’ombre des Bermudes
Lorsque la Coupe du monde se déplace aux États-Unis en 1994, Haïti est en pleine transition. L’équipe nationale est désormais dirigée par Ernst Jean-Baptiste, dit Zé Nono, ancien milieu du Victory SC. Le tirage au sort place les Grenadiers face aux Bermudes dès le premier tour.
Le match aller, disputé à Hamilton, tourne à l’avantage des locaux, qui s’imposent 1-0. Au retour, devant un public nombreux au Stade Sylvio Cator, Haïti réagit et s’impose 2-1 grâce à un doublé de Tchaly Eléazar. Mais la règle du but à l’extérieur, implacable, condamne les Grenadiers. Les Bermudiens poursuivent leur route, tandis qu’Haïti reste sur le carreau, victime d’un destin une nouvelle fois cruel.
Ce nouvel échec symbolise la fin d’une époque et le début d’un long passage à vide pour le football haïtien, jadis terre d’espoirs et de héros.
2026 – Une fenêtre historique
Plus d’un demi-siècle après la désillusion de 1970, le sort offre à Haïti une nouvelle chance. Le Mondial 2026 se déroulera en Amérique du Nord, dans trois pays déjà qualifiés d’office : États-Unis, Mexique et Canada. Autrement dit, la voie s’ouvre, comme rarement, pour les nations de la CONCACAF prêtes à saisir leur moment.
Haïti, placée dans un groupe relevé avec le Costa Rica, le Honduras et le Nicaragua, a disputé quatre rencontres. Une victoire convaincante contre le Nicaragua, deux nuls solides face au Costa Rica et au Honduras, et une défaite contre ces mêmes Honduriens. Il reste deux matchs décisifs : un contre le Costa Rica, l’autre contre le Nicaragua. Deux ultimes rendez-vous qui diront si la sélection nationale parviendra enfin à briser ce cycle d’occasions manquées.
Briser le mythe, renouer avec l’histoire
L’histoire d’Haïti et des Coupes du monde en Amérique du Nord est celle d’un paradoxe : chaque fois que le contexte semblait favorable, le rêve s’est dérobé au dernier instant. 1970 a offert la gloire manquée de la génération Tassy ; 1986 a montré la désillusion de Coca Barthélemy face à la modernité du football continental ; 1994 a scellé le déclin d’une école technique jadis admirée.
Mais 2026 n’est pas qu’une date : c’est une opportunité historique, presque symbolique. Le football haïtien, entre crises et résurgences, peut encore surprendre.
Et si, après tant de défaites cruelles, les Grenadiers réussissaient à se qualifier sur le sol même où tout a commencé ?
Ce serait plus qu’une qualification. Ce serait une réparation de l’histoire, un hommage aux Saint-Vil, Vorbe, Coca, Zocil, Tom Pouce et tous ceux qui ont rêvé avant que le monde ne les entende. Haïti n’a jamais profité des Coupes du monde nord-américaines passées. Mais le temps n’efface pas les rêves , il attend juste le bon moment pour les faire renaître.



