
Par : James Bake
Dans les rues fracturées de Port-au-Prince, le silence n’existe plus. Les rafales ont remplacé les cloches, la méfiance a étouffé les sourires, et les classes sociales ne se croisent qu’à travers des barricades invisibles. Pourtant, au milieu de ce chaos qui ronge le pays jusqu’à l’os, un seul langage continue de traverser les ruelles, les montagnes, les bidonvilles et les salons : le football.
Imaginer Haïti qualifiée pour la Coupe du monde 2026 après 52 ans d’attente n’est pas un simple exercice de sport-fiction. C’est toucher du doigt un rêve collectif capable de fissurer les murs de haine et de raviver une identité meurtrie. Une génération incarnée par Jean Ricner Bellegarde, Josué Casimir, Hannes Delcroix et tant d’autres porterait bien plus qu’un maillot : elle porterait la réparation symbolique d’un peuple brisé mais pas éteint.
Car ce pays a déjà connu, par instants, ce que signifie l’union sans condition.
En 2007, quand Eliphène Cadet, Bruny Pierre Richard et Alexandre Boursiquot menaient les Grenadiers à la victoire en Coupe caribéenne, Haïti avait cessé de respirer dans la peur pour respirer dans la fête. Les bandes de rara avaient envahi les rues, les bidonvilles embrassaient les quartiers résidentiels, et personne ne demandait à personne d’où il venait. On célébrait, ensemble, comme si les blessures du pays avaient été anesthésiées par un tambour.
En 2019, la Gold Cup offrait un autre miracle. Menés 2-0 par le Canada, Duckens Nazon, Hervé Bazile, Wild Donald Guerrier et leurs compagnons réalisaient une remontada impensable : 3-2, le monde du football en état de choc, et Haïti en état de grâce. Les réseaux s’embrasaient, les kiosques et les terrasses hurlaient d’une seule voix, les rues devenaient des stades à ciel ouvert. Ce soir-là, aucun débat sur la religion, aucune querelle politique, aucune fracture sociale ne tenait debout.
Le football est peut-être la seule institution encore respectée sans méfiance nationale.
Aucune chapelle religieuse ne rassemble ainsi. Aucun parti politique n’embrase autant. Aucune ONG, aucun leader, aucun slogan ne parvient à réunir les 10 millions d’Haïtiens d’Haïti et de la diaspora en une seule vibration.
Le football n’interroge pas l’origine. Il n’analyse pas le statut. Il ne trie ni par accent, ni par portefeuille, ni par arrondissement. Il offre la seule forme d’égalité émotionnelle que ce peuple possède encore.
Alors, posons la question avec gravité et espoir :
Et si Haïti se qualifiait pour la Coupe du monde 2026 ?
Ce ne serait pas uniquement un exploit sportif. Ce serait :
– un cessez-le-feu dans les cœurs,
– une trêve tacite entre quartiers ennemis,
– un sentiment d’appartenance que même l’histoire récente n’a pas réussi à tuer.
On verrait les rues du Bel-Air, de Delmas, de Croix des Bouquets, de Fontama et de Martissant , de Carrefour, de Cap-Haïtien, de la diaspora new-yorkaise, montréalaise, parisienne, floridienne s’embraser sous un même chant. On ne parlerait plus de “diaspo”, de “bourgeoise”, de “ghetto” ni de “classe moyenne” : on parlerait de Grenadiers.
Ce jour-là, ce ne seraient pas des supporters. Ce serait un peuple.
Haïti ne manque pas d’intellectuels, de slogans ni de promesses. Ce qui lui manque, c’est un motif commun pour se regarder sans méfiance. Et ce motif pourrait bien être cousu dans les crampons d’un Casimir, le pressing d’un Delcroix, ou une passe de Bellegarde et un but Duckens Nazon.
Le football n’est pas une distraction. C’est un refuge, une mémoire et un drapeau vivant.
S’il existe encore une chance de réconciliation nationale sans violence ni discours politique, elle pourrait commencer sur une pelouse verte, quelque part en été 2026. Et ce jour-là, la qualification des Grenadiers ne serait pas qu’un voyage au mondial : ce serait la plus grande cérémonie de paix spontanée depuis des générations.
Parce que tout ce que la politique, la religion divise, le football a prouvé qu’il peut le réunir. Et si le changement devait venir de quelque part, il viendrait peut-être d’une qualification Historique d’Haïti pour le mondial de 2026.



