
Par James Bake
Une révolution silencieuse commencée bien avant 2008, la venue de certains enfants haïtiens nés à l’étranger.
L’histoire récente des Grenadiers ne peut être racontée sans évoquer l’influence déterminante des joueurs binationaux. Le 7 juin 2008 marque le début d’un virage historique avec l’arrivée de Jean-Marc Alexandre, premier jalon d’un mouvement qui allait métamorphoser le niveau général de la sélection haïtienne. Trois ans plus tard, en octobre 2011, Haïti accueille deux renforts majeurs : Réginald Goreux et Kim Jaggy, tous deux débutant le même jour, et apportant une expérience européenne inédite pour une équipe encore en recherche d’identité.
Cette première génération a posé les fondations : rigueur tactique, exigences professionnelles nouvelles et crédibilité retrouvée sur la scène internationale.
Si un nom a marqué le passage d’Haïti d’équipe combattive à sélection compétitive, c’est bien Duckens Nazon. Arrivé en 2014, “le Chouchou Haïtien” devient rapidement le visage de cette nouvelle ère. Son caractère, son influence offensive et sa communication assumée ont redonné une fierté au public et attiré de nouveaux talents dans son sillage.
À partir de cette période, le binational haïtien n’est plus une exception : il devient un moteur.
En 2016, Derrick Étienne Jr. rejoint le groupe, suivi en 2018 par Frantzdy Pierrot, attaquant de référence en sélection par rapport à son abattage physique. Leur contribution coïncide directement avec l’amélioration des performances régionales et l’idée que la sélection pouvait rivaliser avec les nations mieux structurées de la zone.
Puis, en 2019, surgit un catalyseur : Hervé Bazile. Sa participation à la Gold Cup 2019 n’a pas seulement apporté du talent , elle a modifié l’ambition même de l’équipe. C’est avec lui, aux côtés des cadres déjà présents, que la sélection écrit la plus belle page de son histoire moderne.
L’arrivée de profils comme Martin Expérience en 2021 et Markus Duke Lacroix en 2023 témoigne d’une stratégie plus assumée : recruter des joueurs formés dans les championnats structurés, capables d’élever le niveau sans période d’adaptation longue. Ces joueurs ont consolidé la charpente technique de l’équipe et ancré la sélection dans un football moderne.
L’année 2024 marque un tournant avec la venue de Jean-Kévin Duverne, joueur issu du football européen de haut niveau de la ligue 1 , l’un des 5 majeurs européens.
En 2025, c’est une vague inédite de talents confirmés :
• Jean Ricner Bellegarde ( formé au RC Lens et actuel joueur de Wolverhampton)
• Yassine Fortuné ( passé dans l’équipe des jeunes de l’Arsenal)
• Josué Casimir ( Formé dans Le Havre et actuellement joueur de L’AJ Auxerre)
• Hannes Delcroix ( formé à Anderlecht et actuel joueur de Burnley)
• Keeto Thermoncy ( formé au Young Boys et actuel des U21)
• Rubens Providence formé dans l’AS Roma et actuel joueur de Almere City )
Jamais la sélection ne s’était entourée d’un contingent aussi riche, aussi varié et aussi qualitatif en si peu de temps.
Un impact concret sur la progression des Grenadiers.
Depuis quinze ans, ces joueurs ont apporté :
• Une marge de progression technique incomparable
• Une culture tactique professionnelle
• Une visibilité internationale accrue
• Une ambition compétitive nouvelle
• Une inspiration symbolique pour les locaux et la diaspora.
Sans eux, ni le bel parcours à la Gold Cup 2019, ni les performances actuelles ne seraient envisageables.
Et après ?
La fédération doit faire face à ses responsabilités.
La dynamique est lancée, mais elle doit être entretenue. Deux dossiers deviennent prioritaires si Haïti veut sécuriser l’avenir de la sélection et prolonger cette progression :
• Gorby Jean-Baptiste ( SC Braga)
• Wilson Isidor ( Sunderland)
Ces profils s’inscrivent dans la continuité de ce que les binationaux ont initié : renforcer, encadrer et projeter la sélection dans une nouvelle dimension. Les ignorer serait une erreur stratégique.
Le binational comme colonne vertébrale moderne. De Jean-Marc Alexandre en 2008 à Rubens Providence en 2025, en passant par Nazon, Pierrot, Bazile ou Bellegarde, les binationaux ont façonné une équipe nouvelle. Leur empreinte n’est pas un détail de l’histoire, c’est le fil conducteur de l’évolution des Grenadiers.
L’avenir ne se joue plus seulement sur le talent local, mais sur la capacité de la fédération à comprendre où se trouve désormais la richesse sportive d’Haïti : dans la diaspora, dans les académies européennes, et dans l’ambition de continuer à rêver plus haut.
Si la sélection veut franchir un palier définitif, elle devra continuer à ouvrir ses portes aux talents de double culture et ne plus jamais laisser passer une pépite qui porte le sang haïtien.


