100 ans de l'équipe nationale

Numéro 22 : L’histoire du premier Grenadier né hors d’Haïti 

Par Mythsouka Jean-Philippe

Depuis plusieurs années, la sélection haïtienne de football s’appuie de plus en plus sur des talents issus de la diaspora, nés en France, aux États-Unis, au Canada ou ailleurs. Des noms comme Johnny Placide, Fafà Picault, Josué Mayard ou plus récemment Derrick Etienne Jr., Duckens Nazon et Hervé Bazile illustrent cette ouverture naturelle vers les Haïtiens de l’extérieur, devenus des piliers de l’équipe nationale. Si cette dynamique semble aujourd’hui évidente, elle repose en réalité sur une histoire plus ancienne, inaugurée par un joueur presque oublié du grand public : Emilio Gebarra.

Un pionnier méconnu

En 1934, lors des éliminatoires de la Coupe du Monde, le sélectionneur Édouard Baker convoque deux gardiens : Esper Édouard, du Racing Club Haïtien, et Emilio Gebarra, portier du Violette AC. Avec cette convocation, Gebarra entre dans l’histoire comme le tout premier joueur né hors d’Haïti à être appelé en sélection nationale. Né en Syrie, Emilio était issu d’une famille ayant fui la région du Levant à la fin du XIXe siècle, dans le contexte du déclin de l’Empire ottoman.

Son frère, Joe Gebarra, jouait également au Violette AC, ce qui illustre bien l’enracinement progressif de cette famille dans la vie sociale, économique et sportive haïtienne.

L’héritage syro-libanais en Haïti

L’histoire des immigrants syro-libanais en Haïti remonte aux années 1880-1890, quand plusieurs milliers d’entre eux s’installent dans les Caraïbes, fuyant la misère, les persécutions religieuses et politiques. En Haïti, leur arrivée est mal accueillie par la bourgeoisie locale, qui voit en eux des concurrents économiques. Victimes de préjugés et même de lois d’expulsion (notamment celle de 1903), ils persistent et réussissent à s’intégrer grâce à leur travail acharné et leur sens du commerce.

L’occupation américaine d’Haïti (1915-1934) représente un tournant : les Américains, souhaitant réduire l’influence européenne sur l’économie haïtienne, soutiennent cette communauté, qui devient un acteur économique important. Plus tard, sous le régime de François Duvalier, cette diaspora trouve sa place dans les cercles de pouvoir.

Du commerce au terrain : la réussite sociale par le sport

L’intégration d’Emilio Gebarra à l’équipe nationale est une preuve éclatante de l’évolution de la perception de cette communauté dans la société haïtienne. D’un rejet initial à une reconnaissance concrète, les « Syriens » d’Haïti — nom générique désignant les Libanais, Syriens, Palestiniens — sont passés de marginaux à partenaires à part entière de la nation. Et Gebarra, en tant que représentant d’une minorité intégrée, devient une figure fondatrice.

Une continuité affirmée dans la sélection haïtienne

Depuis Gebarra, plusieurs générations de Grenadiers nés à l’étranger ont continué à enrichir l’équipe nationale. Johnny Placide, né en France, est devenu l’un des gardiens les plus emblématiques des années 2010. Fafà Picault, né aux États-Unis, a apporté sa vivacité en attaque. Josué Mayard, né au Canada, a marqué les années 2000 en défense. Tous illustrent une tradition de diversité, où l’appartenance à la nation haïtienne dépasse les frontières géographiques.

Aujourd’hui, cette ouverture est non seulement assumée, mais aussi valorisée. Elle montre que l’identité haïtienne est plurielle, vivante, enracinée autant dans la terre natale que dans le cœur de ceux qui y sont liés par le sang, la culture ou le destin.

En convoquant Emilio Gebarra en 1934, Haïti ouvrait sans le savoir une voie essentielle pour son football : celle de l’inclusion. Dans un pays marqué par l’exil, la migration et la résilience, il est naturel que la sélection nationale reflète cette réalité. Gebarra n’a peut-être jamais joué une Coupe du Monde, mais son nom mérite d’être inscrit au panthéon du football haïtien, comme celui du premier à rappeler que l’on peut naître ailleurs et appartenir pleinement à Haïti.

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